Monday, March 27, 2006

Personnes sans visages


L’Utilisation de techniques discursives comme moyen d’objectivation de groupes marginalisés
Personnes sans visages
par Curtis E. Hinkle

Le but de cet essai est d'analyser les textes sur le site web de l'ISNA, l’organisation la plus visible dans le domaine de l’intersexuation, afin de comprendre les différentes techniques discursives que cette organisation utilise consciemment ou inconsciemment qui réduisent les sujets mêmes de leur discours au silence.

Voici un petit résumé des différentes techniques que je vais aborder dans cette analyse:
1. Il n'y a aucun substantif (nom) employé pour un(e) intersexué(e).
2. Prépondérance de blogues de personnes qui ne sont pas intersexuées.

3. Concentration presque exclusive sur le corps
4. Refus total de prendre en considération les questions de genre comme une question importante pour les intersexué(e)s.
5. Infantilisation continuelle
6. Prolifération du discours médical

Après avoir lu les articles sur leur site, j'ai remarqué que l’absence totale d’un substantif ou nom pour les personnes qui sont l’objet de leur discours est le plus flagrant délit qui résulte de leur façon de contrôler le langage pour objectiver et marginaliser les intersexué(e)s. Comment est-ce possible? Si les sujets dont vous parlez n’ont pas de nom, de substantif pour les nommer, on donne l’impression que les objets dont vous parlez n’ont pas de substance, qu’ils ne sont d’aucune conséquence. Autrement, on créerait un nom, un substantif pour catégoriser l'objet de discussion. Au lieu de l'utilisation d'un nom comme intersexué(e), ou le vieux terme hermaphrodite, qui n’est pas biologiquement exact, mais qui a une grande signification historique comme nom ou catégorie pour nous, nous sommes constamment désignés comme personnes ou enfants avec l’intersexuation, ce qui nous oblige de disparaître encore une fois dans une des deux catégories masculine/féminine que nos corps ont défié en premier lieu.

Le refus d'employer un nom ou d’en créer un que beaucoup d’intersexué(e)s accepteraient déshumanise les sujets réels de leur discours parce que nous devons consentir à être vus à travers le prisme binaire de femme ou homme avant de devenir le sujet de discussion. C’est un effacement et on disparaît de nouveau dans un vide pour devenir des personnes sans visages, l’objet qu’on n’ose jamais nommer.


Cependant, si vous faites une analyse du texte du site, vous arriverez à cette conclusion, c'est-à-dire, il n'y a aucun nom
pour nous sur ce site. De cette façon, les personnes qui veulent parler de nous en tant qu’objets détiennent tout le pouvoir discursif et cette technique d’objectivation soutient toutes les autres qui en découlent.

Une des autres techniques discursives qui représentent l'intersexé(e) comme un objet sans pouvoir d’agir est de laisser la parole à d’autres, surtout des femmes qui ne sont pas intersexuées qui parlent à notre place. Si vous regardez le site, presque tous les blogues sur le site sont contrôlés par des femmes qui parlent pour nous mais qui ne sont pas intersexuées. De cette façon, le sujet de leur discours reste toujours un objet dont on parle et qui n’a jamais de voix directe en tant que narrateur/narratrice réelle du discours.

Ainsi, on peut fixer toute l’attention du lecteur sur le corps sans jamais parler de la personne dans le corps en question. Quand on parle de nous, c’est presque toujours de notre corps, une autre forme d’objectivation et afin d’immobiliser l’objet, on écarte toute discussion sur le genre en déclarant que c'est une question qui n’est pas importante pour nous. Cependant presque tou(te)s les intersexué(e)s avec qui j’ai parlées m’ont dit que les questions de genre sont très importantes pour elles/eux. Mais si on commence à parler du genre, on commence à humaniser l’objet et on doit aborder le sujet tabou de ce site, l’identité des personnes dont on parle. Si on accorde une identité au sujet, on risque de perdre contrôle du discours et d’autres personnes pourraient plus facilement vous demander d’expliquer pourquoi ce sont des personnes qui ne sont pas intersexuées qui parlent pour nous tout le temps et pourquoi elles exercent tant de contrôle sur les mots, les définitions des sujets de leur site sans laisser parler des sujets eux-mêmes de leurs identités, leurs expériences dans une société qui n’a pas de place pour eux.

Une autre technique discursive est l’infantilisation continuelle de l'intersexué(e). Par cela je veux dire que la plupart de toutes discussions sur le site parle de nous en tant qu’enfants. C’est important. Mais en fixant l’attention toujours sur un petit enfant, cela donne l’impression que nous avons besoin d’autres pour parler car un enfant n’est pas capable de parler. Si les intersexué(e)s parlaient de leur propre vie en tant qu’adulte, on devrait mettre tout en question concernant les définitions, les termes et tout le discours sur ce site car ce serait plus évident que les sujets en questions ici sur leur site sont presque totalement absents.

Et finalement, la prolifération du discours médical qui fixe l’attention sur la pathologie des sujets sape tous les efforts de notre émancipation de l’institution qui a pour but de nous effacer. Le but de la médicalisation des intersexué(e)s est de nous faire disparaître. La normalisation de nos corps et de nos genres servent à protéger le statu quo car notre existence déstabiliserait tout le système binaire.

Ces techniques discursives nous déshumanise et nous sommes redevenu(e)s les personnes sans visages que nous avons trouvées dans les textes médicaux quand nous étions jeunes et nous avons pleuré de voir nos propres corps exhibés comme des monstres. Sans voix, sans visage, sans place. Nous nous sommes caché(e)s et la honte continue.

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