Sunday, July 16, 2006

(Hétéro-)sexisme pathologique et la médicalisation du sexe chez les enfants


Intersexe – le Sexe qui n'ose pas dire son nom
Par Curtis E. Hinkle

On ne peut pas vraiment dire que ce soit un scoop que d'affirmer que nous vivons dans une société sexiste. Cependant, au moment même où nous croyons que nous sommes en train de faire des progrès dans notre lutte pour l'égalité et la dignité, nous sommes pris par surprise par un contrecoup et par la force politique qui le soutient. Nous avons trouvé des preuves tout récemment de cette puissante machinerie hétéro-sexiste aux Etats-Unis, avec l'annonce de la part de l'ISNA, La société des personnes intersexuées d'Amérique du nord, au sujet de son adoption de l'expression "trouble du développement sexuel" ("Disorder of sexual developpment, DSD" en anglais). Cette organisation américaine affirme que ce terme serait préférable pour les enfants que l'adjectif "intersexué" ou "intersex" en anglais.

J'ai lu tout récemment un article de Vincent Guillot, un activiste de la communauté intersexuée d'Europe qui a pour titre "C'est à nous de sortir du discours médical". Je ne peux qu'approuver ce titre. C'est aussi aux adultes intersexué-e-s de parler contre l'hétéro-sexisme pathologique et ses conséquences dévastatrices pour les enfants intersexués. Nous avons été des enfants. Les médecins et les "experts" qui parlent en notre nom n'ont pas toujours à cœur de défendre nos propres intérêts. Ils font partie d'une machinerie sexiste qui a fait d'immenses dommages à nombre d'entre nous durant notre enfance, ils ne nous ont pas écoutés et ils continuent d'essayer de contrôler nos vies.

Le fait que certains adultes intersexués puissent réellement croire qu'ils souffrent d'une condition médicale ne devrait en aucune manière réduire au silence ceux d'entre nous qui récusent cette vue pathologique de l'intersexualité. Il était tout à fait possible d'utiliser le terme "intersexué-e" ou "intersex" comme un adjectif médical décrivant une condition de formation atypique du sexe d'une personne. Les personnes souhaitant une aide médicale pouvaient l'obtenir, avec tous les diagnostics et les pathologies associés par les médecins au fait de ne pas être typiquement homme ou femme. Personne ne dictait la manière de chercher de l'aide aux personnes intersexuées qui ressentaient leur corps comme pathologique, et personne n'affirmait qu'ils n'aient pas le droit de le percevoir ainsi. Mais la situation a radicalement changé avec la création de l'acronyme "DSD", pour "trouble du développement sexuel". Cette dernière tend à stigmatiser un large segment de la communauté intersexuée en raison de sa manière purement pathologique, sexiste et humiliante de considérer les personnes intersexuées. Nous avons le devoir de protéger les enfants d'une politique aussi destructive, sexiste, stigmatisante qui est défendue avec vigueur par nos institutions médicales, légales et sociales.

Examinez de près ce terme. Il peut nous aider à comprendre la mentalité de ceux qui ont choisi de l'adopter pour parler d'enfants sans défense. En premier lieu ils disent que l'enfant a un trouble. Merck est l'éditeur de l'une des références médicales les plus utilisées aux Etats-Unis. Voici la définition d'un trouble d'après leur site web: "un désordre ou un fonctionnement anormal, un état physique ou mental morbide" [1]. Depuis le jour de sa naissance, et de plus en plus avant même sa naissance, un enfant intersexué est étiqueté comme dérangé ou anormal parce qu'on aurait perçu un dysfonctionnement ou un état physique morbide. Ce fonctionnement déséquilibré ou anormal repose sur des siècles de réduction des personnes à leur fonction reproductive. Définir un enfant sur la seule base de son futur fonctionnement sexuel et reproductif est clairement sexiste et certainement quelque chose que les enfants en question ne comprendraient pas car ils n'ont pas d'expérience de ce que c'est que d'être un adulte sexuellement mature. Cela sexualise les enfants dès leur naissance et leur envoie le message que leur vrai but dans la vie est d'avoir un corps capable de fonctionner dans une relation hétérosexuelle dont le but principal est la reproduction, alors même qu'il est probable qu'aucun traitement leur permettra jamais de se reproduire. Les traitements qu'on leur impose a pour but de leur permettre de simuler une activité hétérosexuelle plus tard dans la vie, alors même qu'il est possible que cela ne les concerne pas, suivant la manière dont ils grandissent et dont ils intègrent leur sexualité (ou leur manque d'intérêt pour la sexualité). Il n'est pas acceptable de présupposer que tous les enfants vont ressentir le désir d'avoir des relations hétérosexuelles en tant qu'adultes. Cela les rend souvent encore plus confus et honteux parce qu'ils sont traités pour un dérangement (à savoir le fait de ne pas être né avec ce qu'il faut pour un fonctionnement reproductif, et donc hétérosexuel).

Leur corps devient un élément déstabilisant pour des institutions sexistes et le jeune enfant est enfermé dans un ensemble de discours au sujet de qui il/elle est, de l'apparence que son corps devrait avoir dans le but d'avoir quelque espoir de s'inscrire dans le système. Mais les questions que je pose sont les suivantes: Est-ce que tout cela aide vraiment l'enfant? Est-ce que cet enfant est vraiment déséquilibré ou anormal? Est-ce que tout cela nécessite vraiment une intervention médicale? Qu'est ce qui ne va vraiment pas au sujet du corps des enfants intersexués? Pourquoi est-ce qu'il faut "corriger" l'enfant? Je crois que la réponse à chacune de ces questions se trouve dans l'idéologie profondément sexiste et hétérosexiste qui contrôle notre société et qui n'a rien à faire des intérêts réels des enfants. Elle ne se préoccupe que de la protection des institutions traditionnelles de notre société. Le véritable trouble ou le dérangement ne réside pas dans le corps des enfants intersexués, il réside dans l'idéologie de la société dans laquelle cet enfant va devoir vivre et qui légitime l'utilisation de toute une panoplie de technologies biomédicales pour imposer un ordre qui n'a rien de naturel, qui a été institué comme une évidence et qui, de ce fait, légitime toutes les mesures nécessaires pour l'imposer à toutes les personnes qui ne se conforment pas à la division traditionnelle et sexiste de tous les êtres humains entre hommes et femmes.

Estomper cette division arbitraire entre deux catégories de personnes est une menace pour une structure hétérosexiste qui ne peut vivre qu'en imposant une dichotomie entre hommes et femmes qui deviennent deux catégories sociales, presque deux classes, distinctes. Les inégalités de pouvoir entre les membres de ces catégories ne sont pas considérées comme un danger. Non, ce sont des enfants sans défense qui deviennent le champ de bataille et ils doivent payer un prix très élevé de par le simple fait qu'ils naissent avec un corps qui met en cause des catégories arbitraires et sexistes qui n'ont d'autre légitimité que d'être nécessaires pour que ce système hétéro-sexiste fonctionne. Le deuxième terme de l'expression "DSD" avec laquelle certains essaient de remplacer l'adjectif "intersexué" est "sexe". Il est utilisé pour dénommer le sexe qui n'ose pas prononcer son propre nom. La définition suivante est une assez bonne description de ce que la plupart des gens veulent dire quand ils utilisent ce mot:

"Une construction biologique, basée sur des caractéristiques biologiques qui rendent possible la reproduction" (extrait de Krieger N. A Glossary for Social Epidemiology, J Epidemiol Community Health 2001; 55:693-700.)

Le caractère hétéro-normatif de cette définition est évident. Elle affirme que selon une perspective biologique, les humains sont essentiellement dimorphiques. Mais même d'un point de vue strictement biologique, le sexe ne peut pas être défini comme cela. De plus, la biologie est justement l'une des disciplines qui traite du corps humain et des sexes. D'un point de vue génétique, le sexe des êtres humains est beaucoup plus complexe. Les variations génétiques entre les personnes qui font qu'elles ne sont pas des hommes ou des femmes "standard" sont si nombreuses qu'en fait peu de personnes correspondent vraiment à ces critères, même physiquement. Le seul fait d'utiliser les termes "mâle" et "femelle" quand on se réfère à des marqueurs génétiques pose de sérieux problèmes car ce que l'on appelle un marqueur "masculin" ne mène pas nécessairement à la masculinité, etc. le caractère stéréotypé et artificiel d'une idéologie arbitraire et binariste devient en fait encore plus évident quand on s'intéresse aux composantes génétiques du sexe. Le message que nombre d'enfants intersexués entendent est que leur sexe est en lui-même un trouble, un handicap et un état physique pathologique. Ceci ne fait absolument rien pour soulager la stigmatisation associée avec le fait d'être intersexué-e. En fait, cela ne fait que l'accroître, en faisant une fois de plus en sorte que l'intersexualité est le sexe qui n'ose pas prononcer son nom. Tout comme le fait d'être un-e hermaphrodite était si humiliant, on nous affirme maintenant que le terme "intersexué-e" est trop "politique" pour être utilisé quand on parle d'un enfant (cf. l'article de ISNA qui décrit les raisons pour lesquelles cette organisation considère qu'il en est ainsi [2]). Mais en fait qu'est-ce qui ne va pas avec le fait de ne pas être clairement homme ou femme? Nous est-il vraiment impossible d'aimer un enfant qui ne correspond pas à ces critères artificiels? Avoir les cheveux roux n'est pas fréquent, mais c'est pourtant parfaitement naturel que de naître ainsi, de même que c'est parfaitement naturel que des enfants naissent intersexués, et cela ne nécessite habituellement pas plus de traitement médical que de naître avec les cheveux roux. C'est à dire aucun. Et tous les enfants, qu'ils naissent avec les cheveux roux ou intersexués ont besoin du même amour et du même accueil inconditionnel de la part de leurs parents. Nier votre identité et refuser d'admettre que vous êtes intersexué ne correspond pas vraiment à cet accueil aimant et inconditionnel. Et cela a des conséquences graves pour l'enfant. Légalement, nous avons deux sexes "officiels". Ce système de loi est nécessaire pour maintenir une structure patriarcale et hétéro-sexiste. Mais elle n'a rien de naturel. Elle est imposée politiquement et socialement et les enfants intersexués paient un prix terriblement élevé pour révéler ce qui est pourtant évident, à savoir que cette distinction entre deux sexes presque antinomiques est arbitraire. Ces enfants ont le malheur de naître avec un sexe qui n'ose pas dire son nom, ils sont intersexué-e-s. Le dernier terme du "diagnostic" imposé aux jeunes enfants est "développement". Ce terme est utilisé alors même que le terme "différentiation" est bien plus approprié étant donné que ce que les médecins considèrent comme un trouble est le fait que le fœtus ne s'est pas différentié "correctement" en un garçon ou une fille. Le mot "différentiation" est plus approprié si le but est d'imposer des "différences" strictes entre hommes et femmes. Utiliser le mot "développement" ne fait qu'obscurcir les choses – comme si les partisans de l'expression "DSD" essayaient de dire que le problème est juste que les tissus reproductifs ne se sont pas développés correctement alors que le problème est que, de par sa simple existence, l'enfant défie les divisions strictes et arbitraires entre les personnes que nous classons parmi les hommes et celles que nous classons parmi les femmes. On peut voir cela clairement si on examine la manière selon laquelle un enfant qui naîtrait avec un pénis très grand est traité. Il est très peu probable qu'il soit perçu comme ayant un trouble du développement sexuel, alors même que ses organes sexuels seraient "surdéveloppés" en comparaison des autres enfants. En fait, le fait d'avoir un pénis très grand ne met pas en danger les distinctions légales et sexistes entre homme et femme. Un tel enfant ne subirait aucun traitement. Ce qui pose problème aux yeux de l'entourage des enfants intersexués est qu'ils ne sont pas clairement différentiés comme garçons ou comme filles, et cela n'a rien à voir avec le développement, le sous-développement ou le surdéveloppement. J'ai lu un commentaire intéressant par un activiste particulièrement convaincant qui traitait des connotations du mot "développement" et son raisonnement était particulièrement sensé. Le recours à ce terme tend à faire croire que l'enfant n'est pas entièrement développé. Une telle affirmation n'est pas particulièrement libératrice quand elle est appliquée à des enfants.

Elle tend de plus à faire croire que ceux d'entre nous qui ne se sont pas développés pour devenir complètement des garçons sont simplement des enfants et des personnes qui ne se sont que partiellement développées. Ceci permet d'empêcher toute personne qui s'identifie comme un homme mais qui ne correspond pas en tout points aux normes de cette catégorie d'y adhérer, alors même que nombre d'entre nous ont une identité et une vie d'homme.(et c'est là où on retrouve le plus clairement une idéologie vieille de dizaines de siècles dans l'esprit de gens soi disant à la pointe de la recherche scientifique).

Je considère que les personnes de la communauté intersexuée qui sont en désaccord avec cette politisation sexiste de l'intersexualité (et de leur propre corps) ont le droit de la dénoncer. D'autres ont aussi le droit de parler au nom des enfants, mais ce droit ne peut être confisqué par quelques uns. Faire croire aux enfants intersexués qu'ils sont dysfonctionnels, déformés, ou du mauvais sexe et seulement partiellement développés ne les aide en rien. Nous devons oser parler en leur nom, nous devons oser parler du sexe qui n'ose pas dire son nom, celui des enfants intersexué-e-s.

[1] La définition de Mercks peut être trouvée à: http://tinyurl.com/7flku
[2] "Parents and doctors are not going to want to give a child a label with a politicized meaning." l'article de ISNA's expliquant les raisons pour lesquelles ils utilisent l'expression DSD (Disorder of Sex Developtment) peut être trouvé à:http://www.isna.org/node/1066

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